A l'ombre des jeunes filles en fleur-Benoît ou la légende de Terrisse

   Il arrive ; son grondement de dragon monte dans la vallée et est perçu par les deux jeunes hommes au aguets. Ils viennent dans le jardin de la mère Fabre pour deux raisons : Soit lui chaparder des cerises sur le gros arbre vénérable au printemps, soit le dimanche matin pour guetter l’arriver de l’autocar. C’est vrai que c’est une attraction assez récente, et c’est bien grâce à la présence de Clemenceau à Toulon que le département s’est doté d’un progrès si frappant : Une liaison automobile régulière qui permet de rejoindre les grandes villes du sud comme Marseille ou Toulon à des petits bourgs industriels de l’arrière pays comme Barjols et Flayosc et leurs tanneries. Tant de campagnes françaises ne sont encore accessibles que par la traction animale que Joseph et Alphonse ne se lassent pas de guetter les cliquetis plus d’une heure à l’avance, en fin de semaine.

Aujourd’hui, est peut-être le jour d’un nouveau miracle : c’est une rumeur qui a couru depuis des jours dans tout ce qu’il y a de sémillant et de célibataire à Cotignac.

Enfin le Schneider H fait monter ses pétarades depuis les plaines du sud. Sur le revêtement symbolique, les roues en bandage plein, vibrent autant horizontalement que dans le sens de la marche ; mais la vaillante machine croit devoir atteindre sa mission. Les deux adolescents ont bondit pour aller prévenir le reste de la bande dès que l’autocar a été distingué : Il arrive !

Ils ne leur reste plus qu’à prendre leur place avec les autres à leur endroit stratégique, leur château inexpugnable : le mur. En bas du cours, il existe un parapet à l’entrée du cabinet du docteur Jouillet. Il s’agit d’une murette aux pierres bien jointes, qui est située en bas du cours, en face de l’arrêt normal des véhicules montant de la vallée. De là, les jeunes de la commune ont pris l’habitude d’en faire leur quartier général de déseuvrement après la journée dans les champs ou chez les artisans de Cotignac. Aujourd’hui, c’est dimanche, alors tout le monde est bien habillé avec une casquette de golf vissée sur la tête, un pantalon long pour la plupart sauf pour les plus pauvres et une chemise de flanelle barrée par les bretelles. Alphonse tire sur une cigarette brune avec les yeux sur roulement à bille en guettant le passage de quelqu’un de sa famille ou d’une voisine. Le jeune Sylvain lui arrache pour aspirer goulûment une bouffée.

Enfin, le moteur à explosion vient à s’immobiliser en face d’eux à vingt mètres. Le chauffeur moustachu et bedonnant, touche plusieurs leviers, puis ouvre enfin la porte pour jeter une énorme pile de journaux à même le trottoir. Cotignac va enfin être relié à la civilisation par le truchement du Petit Varois. Il y a plusieurs personnes qui descendent d’abord ; des vieilles femmes bedonnantes et  transpirantes et deux représentants de commerce. Mais l’attente est enfin récompensée, car survient sur le pavé la descente d’un groupe de jeunes filles, toutes plus belles les unes que les autres, aux yeux baissés. Deux bonnes sœurs en cornettes les escortent. Le groupe représente environ douze anges célestes. Dieu existe, quoi qu’on en dise dans le cercle du 24 février 1848 plus haut, pour avoir fait de si belles et jeunes personnes et les livrer aux regards et aux appétits des jeunes des campagnes. Le fait que l’orphelinat Saint Vincent de Paul de La Seyne sur mer est une maison de vacances en bas de la ville, n’a rien à voir avec ce miracle. Joseph a réussi à se glisser derrière l’autobus dans un angle mort invisible par les religieuses. Il hèle les deux adolescentes les plus près de lui comme le renard tente d’isoler deux poulettes tendres :

« Psitt ! Comment vous vous appelez ? Moi c’est Jo…

-Moi c’est Maria et elle c’est Hélène répond les deux statues de cire.

-On fait comment pour se voir si on veut discuter, faire un peu connaissance ? Entreprend le jeune homme déluré.

-Bah, on ne sort de l’enceinte de l’orphelinat que pour aller à la messe…

-Ho… Ca tombe bien, j’adore ça moi aussi ! Répond Joseph prêt à tout pour revoir les donzelles belles et fraîches, et neuves…



13/05/2013
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