Ambiguité éducative-12

  

Deux jambes croisées dépassent de la portière sur le bas-côté de la route, au niveau du petit bois. Des automobilistes qui ne pensent pas à mal, doivent imaginer que la mini-Austin a une panne ou attend quelqu’un. Mais les gens qui ralentissent à sa hauteur, savent pourquoi ils détournent le regard : Natacha attend de la compagnie puisqu’elle est là  pour monnayer ses charmes. Racolage passif, dit la police qui la contrôle régulièrement ; la plupart sont partagés entre leur sens du devoir et l’envie qu’ils ont eux aussi d’emmener la prostituée faire un tour dans les bois ; ils n’ont pas tous aussi bien à la maison. Avec Natacha, pas de migraine, pas de coup de téléphone de la belle-mère, pas de dispute ; juste une relation sexuelle avec une belle femme moyennant un billet.

En réalité, la péripatéticienne s’appelle Monique, mais Natacha, ça fait plus exotique quand on se trouve face à cette blonde, et cela scinde encore plus avec sa vraie vie. L’Austin mini, avec son coffre aménagé en cabine de toilette, ses menottes en satin et ses préservatifs multicolores est son véhicule de scène. Tout la sépare de la mère de famille célibataire qui rentre le soir du travail et où tout le monde dans le quartier croit qu’elle est secrétaire. Sa petite Jade, la prunelle de ses yeux, a malheureusement  appris la vérité sur le travail de sa mère. C’est cette crise qui a déclenché la fugue de l’autre jour. Monique a eu très peur de rencontrer parmi les forces de police affectées aux recherches, certains parmi ceux qui contrôlent Natacha régulièrement. Par chance, la brigade des mœurs reste cloisonnée dans son activité et n’a que faire des mineures fugueuses, tant qu’elles ne franchissent pas la barrière des relations tarifées.

Elle tire un peu son gilet sur ses épaules dénudées ; les voitures qui ne ralentissent pas, font un courant d’air qui lui glace les os.

On ne fait pas la pute par vocation ; mais Monique ne se plaint pas : Elle n’a jamais eu de protecteur, même si deux Albanais ont essayé de lui proposer un contrat d’assurance tous risques il y a cinq ans. Cela s’est terminé avec un œil au beurre noir pour elle, qui l’a empêché de travailler toute une semaine, et un coup d’escarpin en plein milieu du cerveau des mâles pour l’un des assaillants. Elle sourit en repensant à ça. Maintenant, elle a pas mal d’argent de côté, sur lequel elle compte pour ses vieux jours, quand ses seins ressembleront aux oreilles de Caramel, le cocker de la voisine…

La semaine dernière, chez la manucure, elle a vu cette publicité d’Exchange, cette boite qui assure pouvoir résoudre la totalité des troubles de comportements liés à l’adolescence. Jade a des raisons d’en vouloir à sa mère ; il n’est pas facile d’élever une fille toute seule, qu’on fasse ou non le tapin. Mais il y a toujours eu de la nourriture dans le réfrigérateur et de l’amour sincère à la maison. Parfois, Monique accompagne même sa fille à l’école ou en voyage scolaire ; les clients habitués sont patients. Les pères des autres lycéens ont les yeux exorbités et la bave aux lèvres devant les mini shorts ou les tailleurs de la secrétaire ; s’ils savaient que Natacha délivre des cartes d’abonnement pour ses clients les plus sages, ils seraient surpris et ravis et apaisés…

Il faudra qu’elle pense à chercher les coordonnées de cette boite, Exchange, afin de connaître leurs conditions et surtout leurs tarifs. Malheureusement, il n’est pas question de demander une participation au géniteur de Jade ; aux dernières nouvelles, il vivait dans l’ouest du Canada et ne s’est jamais préoccupé de l’éducation de sa fille, ni de son coût, ni comment faisait Monique pour trouver l’argent quotidien. C’est d’ailleurs comme ça qu’ils se sont rencontrés, alors qu’ils étaient tous les deux étudiants en droit, et que Monique commençait déjà à coucher en échange de l’argent nécessaire au financement de ses livres de cours. A l’époque, elle n’était qu’une occasionnelle, et c’est plus tard, après sa grossesse, ses études gâchées et plantée là par son petit copain, fils de bonne famille ; c’est dans le besoin qu’est née l’orientation professionnelle

Tiens, c’est Mathieu, mon habitué du début de semaine. Il est gentil et propre ; la journée commence bien !Jade.jpg



22/03/2018
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