Ambiguité éducative 2

                

                                               La chienlit

 

 

 

      « Maman, j’y vais ; passe moi mon sac. Tu y as mis le goûter ? » Le gamin, n’attend pas la réponse ; dit encore moins merci : Ce n’est que  sa mère après tout, pas le pape.

La femme laisse partir le courant d’air d’un mètre de haut vers la grille de l’école communale. Le vénérable bâtiment de pierre représente le savoir, l’éducation, l’avenir de Caïn. Elle reste là, derrière sa poussette à trois roues où est entravée une jolie petite fille. Son fils est déjà en train de saluer ses copains ; un barreau le coupe en deux, séparant le garçonnet de son sac à dos. Elle le voit sourire, même s’il n’est pas de face ; faire des gestes cabalistiques devant chacun de ses camarades : leur poignée de main secrète à eux! Un léger pincement au cœur lui serre sa poitrine généreuse : Il n’est jamais aussi enjoué et spontané à la maison…

A deux pas d’elle, il y a une autre poussette comme un miroir d’elle-même ; une mère, un bébé, un regard et une inquiétude vers le centre de la cour de récréation au-delà de la grille. L’autre est mince, même maigre, et puis décolorée. L’enfant éveillé dans le siège, regarde un livre minuscule de quatre pages de carton coloré. Ses doigts potelés suivent la forme d’une girafe qui rentre difficilement en hauteur dans l’ouvrage symbolique. Une petite pointe d’envie la saisie, alors qu’elle regarde sa Lucette qui gesticule bruyamment devant elle et tente d’attraper tout ce qui passe à sa portée. Sur le moment, c’est la poubelle à chewing-gum qui a capté son intérêt, car la crotte de chien aux pieds, est vraiment inaccessible. Irène, recule prestement la poussette avant le drame, car elle se rappelle avoir fini la boite de lingettes de son sac cabas hier au parc.

« Il est sage ce petit garçon, dit-elle avec un sourire triste à l’attention de sa vis-à-vis. C’est bien un garçon ? L’autre mère, lève son regard épanoui et ses cheveux filandreux vers Irène, puis vers Lucette gigotante, puis reviens vers sa propre poussette.

-Oui, c’est mon deuxième ; la grande est déjà rentrée car elle doit faire un exposé sur les sciences ce matin, dans la classe de monsieur Henri. La brune, avec des restes non négligeables de sa troisième grossesse, demeure comme hypnotisée par le bambin ; il regarde maintenant un crocodile vert haricot et fait une bouche toute ronde devant le prédateur de papier.

-Il a l’air bien sage ! Relève Irène, toujours un œil sur sa poussette criante et gesticulante, l’autre sur la poubelle douteuse, et en même temps sur Caïn qui a suivit deux plus grands derrière l’angle du bâtiment avec un regard complice.

-Ho oui, je n’ai pas à me plaindre : dès qu’il a une occupation, il reste sagement dans son coin à jouer ou regarder un livre ; cela me laisse du temps tranquille pour surveiller sa sœur pour les devoirs…

L’autre mère se demande de quoi cette extraterrestre est en train de lui parler avec son air épanoui et son sourire mielleux. Elle la déteste déjà alors qu’elle ne la connaît que depuis cinq minutes. Irène ne pense même pas dans ses rêves les plus farfelus, aider Caïn sans cris et hurlements le soir, et puis comment ferait-elle avec la harpie de la poussette et les disputes avec Cyprien son aîné ? Heureusement, que les programmes de la chaîne de mangas arrivent à l’intéresser assez pour ne pas arracher tous les poils du chien avant d’en avaler les peluches. Elever trois enfants, quand son mari est toute la journée sur les routes, n’est pas une sinécure. Elever, cela veut dire nourrir, négocier, se disputer et bien sûr céder... Et cette blondasse veut nous faire croire qu’on n’a qu’à caresser la tête de notre progéniture en train de relire sa leçon du jour pendant que le petit dernier ronge sagement son frein en attendant de rentrer à la maternelle ? De qui se moque-t-on ? Pour qui elle se prend avec ses enfants modèles ? Demain, elle se tiendra plus loin de la poubelle et de la girafe blonde fillasse ; car on ne peut pas avoir un conversation normale avec ce genre d’individu. Il faudra absolument reprendre des lingettes désinfectantes pour le goûter de cet après-midi avant le retour des deux grands, et passez à la pharmacie pour reprendre une boite de ces pilules à la camomille…



12/03/2018
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