Ambiguité éducative 3

   La brise secoue doucement les branches nouvelles des platanes ; sur la place, il ne reste que quelques voitures éparses dont aucune de neuve. Ce n’est pas la raison pour laquelle les jeunes se donnent rendez-vous tous les soirs pour taper dans le ballon : Les soirs de juin  sont propices aux jeux adolescents. La proximité des vacances apporte une sérénité ; l’air agréable mais pas trop chaud, permet de ressortir le soir sans que les parents ne trouvent trop à redire. Depuis une semaine, les garçons de la rue jouent au foot pendant une bonne heure chaque soir ; ils rentrent habituellement au premier sang, comme à l’époque des duels du temps jadis.

Le ballon est à Alain ; il se prend pour Beckam, la vedette de Chelsea qui a marqué le but en finale de la coupe du monde. Un jour, il sera célèbre comme lui, signera à Marseille et aura une Ferrari F80 ou deux… Pour le moment, il tâte de la balle avec les gars de la rue sur la place du village. Ce soir, il y a tout le monde : Benjamin qui se débrouille pas mal ; il y a Cyprien, et puis Francis ; il y a les filles aussi qui sont à papoter sur le banc juste en face des garçons, comme par hasard.

La belle Candice est au milieu de ses copines Clotilde, Sandy et puis Jade de dos ; elles font semblant de ne pas suivre la partie de foot, mais dévisagent les joueurs au moindre éclat de voix. Il y a aussi Seth qui est à l’écart mais Alain ne veut pas qu’il joue car il a deux pieds gauches ; alors, il est quand même venu ce soir mais sans pouvoir se mêler aux gars de la rue ni bien sûr avec les filles. Seth qui a des gestes parfois un peu précieux, pourrait pourtant faire un excellent goal entre le panneau stop et la poubelle à papier. Mme Gaubert en haut à droite, est en train d’accrocher son linge à sa fenêtre sur un pauvre étendoir fixé dans le volet à persienne. Elle en profite entre deux chaussettes, de bien identifier qui sont les jeunes ce soir dehors, les filles bien sûr mais aussi les garçons au cas où un carreau viendrait à descendre avec fracas sur la place. Mais il y a peu de dégâts. Par contre les règles des contacts ne sont pas du tout homologuées par les instances internationales : Chaque joueur laisse traîner sa jambe lors de l’action pour créer un choc avec l’adversaire. Ce que la beauté du sport perd, est amplement compensé par la virilité et le déploiement d’hormones mâles comme des messages subliminaux envoyés vers le banc avec au centre la superbe Candice.

Le père d’Alain passe le long de la place en direction de chez lui. Il est à pied, ce qui est étonnant ; sans doute s’est-il fait déposé par un collègue ou a-t-il garé son semi-remorque un peu plus loin. Du coin de l’œil, il voit son gamin s’heurter violemment avec Benjamin qui le dépasse d’une tête et jette sur lui un regard inquiet et fatigué. Mais monsieur Gérard poursuit son chemin vers le 8 de la Grand-rue.

La vendeuse de la boulangerie aussi vient de fermer son commerce ; elle n’a plus de miches de toute façon ni dans sa boutique, ni dans sa blouse, depuis son cancer l’an dernier ce qui a entraîné le départ de son mari. Elle ne pourra jamais plus avoir de gamin cherchant à se faire mal avec un ballon comme prétexte, ni de fille spectatrice sur le banc et ça, c’est bien navrant.

Alain vient de faire un plongeon sur le goudron suite à un croc en jambe de Cyprien mécontent de s’être fait dribblé pour une fois. Les graviers restent collés sur la plaie du genou ; personne n’a entendu siffler l’arbitre puisqu’il n’y en a pas. Le cœur des supportrices bat la chamade et elles se lèvent comme dans la tribune d’un stade. Elles ne comprennent rien aux règles du ballon mais Francis est magnifique ; moins que Ben, mais le goal ne compte pas. Finalement, la victime se relève en boitillant ; ce ne sera pas encore le premier sang attendu et donc, le match va pouvoir se poursuivre encore un peu ; le niveau de violence constituée de surenchère et de vengeance, peut monter encore d’un cran. L’humide commence un peu à tomber sur la place et sur le banc ; les cris et les interjections sont plus audibles dans le village qui se prépare à la nuit. Il va falloir arrêter le ballon assez vite à cause de la nuit, d’une façon ou d’une autre…

 



13/03/2018
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