Ambiguité éducative 4

   Au beau milieu de la chambre, il y a une grosse poire verte ; elle semble flotter au milieu du sol jonché d’objets épars. C’est un pouf déstructuré, avec un adolescent avachi dessus ; le fruit stylisé ressemble au vieux roi Louis-philippe vers la fin de sa vie. Seth joue comme d’habitude à sa console de jeux vidéo. C’est son unique activité quand il en a le choix : il y joue, le week-end, le soir, le matin avant de partir au lycée, pendant les vacances petites ou grandes, et parfois le soir, aussi tard qu’il peut.

Quelqu’un s’affaire dans le couloir ; c’est sa daronne précédée du vacarme de l’aspirateur. Telle, une walkyrie casqués, juchée sur sa monture de l’enfer, elle heurte la porte de la chambre entrouverte. L’huis ne peut pas se rabattre complètement, bloqué qu’il est par un pull et le cartable posé là la veille au soir. L’aspirateur devient atone devant tant d’adversité.

« Tess, tu m’avais promis de ranger un peu hier ! Je ne peux même pas ouvrir la porte… La mère prend son air triste et fatiguée ; ce n’est pas un rôle de composition. Tout le monde à la maison appelle le garçon Tess, comme Seth en verlan ; et puis ça va bien avec le physique androgyne de l’adolescent. Ouvre moi un peu cette fenêtre, cela sent la chaussette douteuse dans toute la maison ! J’ai fait une lessive hier, et tu ne m’as rien donné… Regarde : le linge repassé et plié de mercredi est posé par terre au milieu des moutons de poussière ; ça ne sert plus à rien que je fasse des efforts pour toi ! » Seth ne bronche pas ; les yeux fixant l’écran de télévision posé sur une table basse. Un muscle a bougé dans sa mâchoire gauche ; signe qu’il a entendu les remontrances ou qu’il a dû éviter de justesse une attaque au lance roquette. Il faut dire que le jeune a un univers varié : Il pratique la chasse aux zombies dans les supermarchés post-apocalyptiques, la conduite de voitures folles dans des villes américaines, meurtre de policiers et écrasement de civils garantis ! Là, il est sur des terrains de guerre où il doit décimer toute une compagnie, avec deux armes de poings et un poignard. Sa mère ne peut pas comprendre  combien ce jeu est stressant, et puis comme on est épuisé après une partie ; exactement comme au lycée, quand le prof de sport se met en tête de nous faire courir quatre tours de stade… Enfin, Tess imagine, car il en est tout le temps dispensé… Les adultes ne savent pas non plus ce que c’est que de jouer en ligne avec d’autres joueurs. Une fois, la partie engagée, il n’est plus question d’avoir une conversation avec quelqu’un dans la pièce, encore moins de ranger sa chambre ou se déplacer pour permettre le passage de l’aspirateur autour de son pouf super avachi. Juste les doigts s’activent sur la manette ; cette agilité permet les plus grands exploits à son personnage à l’écran : Le triple saut avant par-dessus les ennemis est le combo* le plus difficile à réaliser, mais c’est vingt poings de compétence de gagné chaque fois. Les copains, avec qui il joue tous les soirs, ne sont pas harcelés comme ça tout le temps par leurs parents. Sa chambre, n’est pas vraiment en désordre ; Seth retrouve tout assez vite quand il cherche. C’est même, plutôt quand sa mère rangeait à sa façon, qu’il ne retrouvait plus rien. Heureusement, maintenant, elle a baissé les bras, depuis qu’il lui a dit que sa chambre, c’était son univers à lui, qu’il passerait lui-même le balai quand le besoin s’en ferrait sentir, mais ce moment fatidique n’est pas encore arrivé. Attiré par les lamentations de sa mère, Firmin passe la tête dans l’embrasure de la porte ; son dessin animé est fini et il a encore la trace du lait menthe sur la lèvre supérieure.

« Tu t’es encore fait descendre à ton jeu ? Se moque le gamin les yeux rivés sur l’écran de son frère. Tu as vraiment deux mains gauches ! Il doit reculer pour éviter le chausson qui a volé et qui s’écrase sur le dormant.

-C’est à cause de maman ; elle vient me passer son aspirateur dans les oreilles au moment où c’est le plus tendu*… La mère est désappointée d’être assimilée à un ustensile de ménage et essaye, pendant un bref instant, de se faire respecter :

-Toi, tu n’as pas des devoirs à faire, et puis Tess, tu me feras le plaisir de me mettre tout le linge sale dans la panière… dès que tu auras fini ta partie…



14/03/2018
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