Ambiguité éducative-11
Il y a trois lignes d’écrite sur la feuille double qui sert de brouillon à Sandy ; dont deux de rayées… Décidément, ces questions sur l’Afrique subsaharienne ne l’inspirent pas du tout. La page photocopiée du devoir, est couverte de graphiques semblables au tableau de bord d’un avion long courrier avant le crash, et le centre de la page représente une publicité représentant une jeune et svelte jeune femme, heureuse de téléphoner. La lycéenne avait eu une super note la dernière fois en géographie, sur le sujet du surpoids aux Etats-Unis ; ce devoir maison sur l’implantation de la Chine dans l’Afrique de l’est, va lui pourrir sa moyenne…
Il faut dire que Sandy est une experte dans les troubles de l’alimentation dans les pays occidentaux ; elle ne peut pas travailler, réfléchir, respirer, sans paquet de gâteaux, de chips, de bonbons éventrés à dix centimètres de sa main. Les informations, les leçons et même la chimie, sont parfaitement englouties allongés de nourritures terrestres. Il y a longtemps par contre, que son regard glisse sur la composition des aliments du goûter. La litanie des glucides lipides ne l’émeuvent plus et elle considère cela comme un mal nécessaire qu’inscrivent les fabricants pour effrayer la nuit les petits enfants. Les glupides, comme elle les appelle, riment avec insipide et stupide et morbide.
Sandy sait qu’elle est forte, que les garçons pensent que c’est une grosse vache dont on pourrait découper un parachute dans ses culottes ; quand aux autres filles du lycée, leur regard est encore plus critique, car elles rejettent leurs bourrelets et kilos superflus sur la seule fille de la classe qui incarne tout ce qu’elles ne veulent pas être. La jeune fille a pris conscience de son physique quand elle n’a plus trouvé de vêtements à sa taille dans le rayon jeunes filles des magasins ; depuis, c’est plutôt dans le coin des grands-mères, au fond de la boutique qu’elle trouve des sacs à patates qui ne la serre pas.
Sa main s’est saisit d’une madeleine et ses doigts s’inquiète de n’en trouver plus que deux restantes dans l’emballage. Elle est plutôt une bonne élève mais les profs rechignent à lui mettre la meilleure note de la classe ; une fille forte ne peut être intelligente. Avoir presque tout juste au dernier QCM ne doit relever que de la chance ; et il vaut mieux lui baisser son résultat d’un demi point afin ne pas trop l’encourager…
Ses copines acceptent un peu ses formes, même si elles font dessus des blagues… grasses bien sûr ! Jade a d’autres soucis que de surveiller la balance et Narcisse est tout bonnement parfaite, un pur canon sur lequel se retournent tous les garçons et leurs darons aussi. Il y a aussi Clotilde, mais elle, c’est le problème inverse qu’elle a ; il y a un mois, sur le banc, Clo lui a dit qu’elle enviait ses formes avantageuses, qu’un garçon devait avoir envie de serrer dans ses bras une fille voluptueuse. Cela lui a coupé la chique : elle, l’obèse, rêverait de ressembler à autre chose et prendrait volontiers la place de celle qui ressemble à un sac d’os sur le banc. D’abord, elle pourrait enfin manger tout ce qu’elle a envie sans complexe, et pouvoir tout se permettre, comme pourquoi pas, devenir un des mannequin portemanteau qui colorent les pages glacées des magazines féminins (ceux qui sont constellés de crèmes amincissantes ou de produits de régime)…
Elle était bébé lorsque ses parents se sont séparés ; sa mère a voulu qu’elle ne manque de rien, alors elle a doublé l’amour qu’elle lui donnait et triplé les rations de petits pots. C’est très agréable dans les premiers temps, d’être un enfant pas chétif, d’avoir des fossettes comme bébé cadum. Mais le ver est dans le fruit apportant ses protéines, et dès l’école primaire, les bourrelets indélicats apparaissent et leur lot de quolibets. Du coup, Sandy n’avait pas trop de copine pour partager son paquet de gâteaux, alors elle le mangeait toute seule dans son coin. C’est comme ça qu’on devient une grosse vache, jour après jour, quand l’adolescence nous accueille. Même la superbe noire du sujet de géographie semble se moquer d’elle.