AMbiguïté éducative-Les supermarchés de la drogue

Il oblige maintenant son scooter à ralentir ; le spirit transformé en avion de chasse n’a pas l’habitude de rouler au pas, mais là, il ne s’agit plus de faire la course avec les potes ou de semer les flics voulant limiter la bête de course à quarante-cinq kilomètres-heure.

Cyprien est maintenant dans la cité ; il est à vingt bornes de chez lui, mais il vient faire les courses. Déjà, un jeune avec un cyclo sans casque l’a vu et a fait demi-tour immédiatement. Deux gamins, de l’âge de son frère, sont assis sur une murette et l’un a dégainé son portable dès que l’intrus a été vu. Il y a que peu de monde de visible dans le quartier, faute d’emploi dans le coin ; il est pourtant dix-huit heures : la vie devrait grouiller comme à toute les fins de journées de travail ou d’école…

Cyp ne vient dans le coin que pour se réapprovisionner en herbe ; il n’est pas trop rassuré, lui qui fait le gros dur dans son village. Il ne voit devant lui que des voitures bas de gamme en mauvais état et souvent avec les pneus crevés ; elles côtoient quelques berlines allemandes rutilantes et les subaru. Il s’arrête devant une cage d’escalier en contrebas d’une tour grise d’une douzaine d’étage. Un gars vient de sortir, sans doute prévenu par le téléphone des gamins du mur ; il jauge l’arrivant, attend qu’il enlève son casque, hume les alentours pour discerner un hypothétique képi ; il porte un sweet à capuche gris aux couleurs de new York, la patrie des ghettos et la casquette resserrée très haute sur le crâne, signe de reconnaissance des dealers. Cyprien l’a déjà vu une autre fois, mais à l’époque, c’est celui qui était sur le cyclo à l’entrée de la cité. C’est ça qui est bien dans le sheet : les promotions sont rapides de la base vers le sommet, vu que les têtes finissant à Fresnes, passent directement à leur sortie dans le grand banditisme, et ne reviennent plus dans les quartiers…

Une fois rassuré, toujours sans un échange de parole, le gars lui montre du doigt un autre hall d’immeuble un peu plus loin. Le visiteur redémarre, en essayant pour une fois de ne pas faire trop de bruit et s’arrête en bas de l’escalier indiqué. Là un autre jeune sort, muni d’un calepin et d’un crayon et s’approche de Cyprien pour prendre la commande ; c’est là aussi où il faut payer. A contrecœur, le jeune sort la petite liasse de coupures d’euros car le prix du gramme reste stable tout au long de l’année pour la marocaine : la douceur du climat chérifien permet une régularité dans les récoltes, ce qui est bon pour la confiance. Ce coup ci, Cyp va prendre un savon en entier car il n’aime pas revenir trop souvent dans le coin. Il ne lui reste plus qu’à prendre livraison de la marchandise. Le type au calepin lui indique un parking souterrain dessous un square avec un bac à sable. Le spirit s’y engouffre, file le long des garages éventrés malodorants en direction de la lumière de l’autre issue et se fait arrêter par un autre jeune qui lui remet un sac en plastique. Par transparence, Cyprien voit le papier d’aluminium qui emballe la drogue. Il peut repartir, rentrer au village par une route différente. Il n’est pas un dealer : il dépanne quelques gars des communes alentours. Ca lui en laisse assez pour fumer avec les potes sur le banc et même passer gratos une barrette à Alain pour ne pas qu’il s’ennuie trop pendant sa semaine à l’internat. Quand il lui reste un peu d’argent, Cyp peut s’acheter un ou deux survêtement blanc par an ; celui qu’il porte a une tâche de graisse de chaîne en bas. Ce n’est pas sa mère qui peut lui acheter des vêtements de marque comme ça, elle qui a du mal à remplir le réfrigérateur pour tous les trois. Il n’est pas plus fier que ça de sa virée ; le cannabis, c’est de la merde, même si c’est cool quand on s’ennuie sur le banc. Mais si un jour il apprend que Caïn touche à cette merde, il lui éclate la tête. Le spirit regagne des territoires plus connus, s’éloignant des cités et de leurs supermarchés de la drogue. La police ne peut rien en général contre ce marché parallèle et diffus car il faudrait qu’ils interpellent leurs propres enfants… 



15/02/2013
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