AMbiguïté éducative-Trop forts ces commerciaux!
5B De nos jours, on ne fait plus la différence entre le bureau d’un avocat, d’un agent immobilier, d’un assureur ou d’un banquier ; tous vous disent : pour vos problèmes, nous avons nos solutions ; signez là en confiance, on s’occupe de tout…
Andréa est tout de même outrée par ce que l’homme en costume impeccable lui propose ; elle n’a pourtant pas fait beaucoup d’étude, sinon elle ne gagnerait pas sa vie en faisant des ménages, mais elle a un bon sens inné.
« Mais si j’accepte votre proposition, je ne serais plus chez moi… Cet appartement et ce qu’il contient, c’est tout ce que m’ont laissé mes parents, tout dedans me les rappelle. Le commercial balaie l’argument d’un sourire aux dents blanches. Les dépliants disposés sur son bureau, sont autant d’assaillants tentant de prouver à madame Chavez qu’elle a tort. Bien sûr, le produit intitulé Exchange trône en bonne place, puisqu’il est très à la mode cette année ; le commercial est un courtier : il vend un peu de tout, tant que cela ne demande pas de stock, et que la commission est juteuse.
-Andréa… je peux vous appeler Andréa ? Dit le courtier sur un ton mielleux comme si ils allaient partir ensemble quand l’homme aura gagné un séminaire aux Baléares pour avoir vendu assez de contrats. Il enchaîne puisqu’elle n’a pas dit non ; l’intérêt de la vente en viager est que vous restez dans votre logement toute votre vie ; que votre nom ne soit plus sur le titre de propriété est un détail tant que vous et vos deux fils en ayez l’usage… Alors que madame Chavez réfléchit, le commercial se risque à une comparaison : Vous préférez posséder une Ferrari, en payer l’entretien à l’année, ou plutôt juste l’utiliser à votre convenance pour le plaisir? L’argument tombe un peu à plat ; Andréa n’a pas le permis de conduire…
Mais l’homme a des ressources insoupçonnées et une femme de ménage de quarante-cinq ans est un moucheron dans sa toile : Je vous aime bien et je vais vous le prouver : Si vous acceptez de vendre votre appartement en viager, de rester dedans toute votre longue vie, et de prendre un contrat Exchange pour Cyprien, votre fils aîné, je peux vous faire une remise exceptionnelle de 15% dessus. Croyez moi, je perds toute ma commission mais je sais comme ce doit être dur de faire des ménages tout le temps, et d’avoir deux adolescents à élever… Comme cela, il vous restera un pécule pour leur payer des études ou une nouvelle cuisine pour vous.
Andréa sent une larme qui lui monte au coin de l’œil gauche et fait tout ce qu’elle peut pour la contenir. Elle se revoit enfant avec ses parents vivants dans cet appartement, son père dans le canapé couvert de napperons en crochet, avec encore du plâtre dans les cheveux après ses longues journées de labeur ; le bruit des assiettes qui s’entrechoquent doucement dans la cuisine pendant que sa mère s’affairait à la vaisselle. Pourquoi n’a-t-elle pas pu reproduire ce modèle ? Elever Caïn et Cyprien au sein d’une famille heureuse et épanouie ? Tout ça parce qu’elle à trouvé un jour son Julio au lit avec une autre, dans leur chambre, dans le lit se ses parents ? Elle lui a dit de partir, qu’elle ne pouvait pas supporter une telle trahison et lui, n’a demandé que ça, partir sans se retourner et la laisser seule avec les deux gamins, sans aide puisque Julio était encore au chômage…
C’était il y a cinq ans, bien avant que Cyprien commence ses bêtises à l’école, jusqu’à il y a six mois où elle a été convoquée à la gendarmerie car son fils avait sur lui assez de doses de drogues pour de la revente ; quelle honte pour une honnête mère ! Il faut sortir son grand de la spirale de la délinquance pendant qu’il est temps ; si elle économise l’argent qu’il va rester, elle aura sans doute assez pour financer un programme Exchange pour Caïn, si lui aussi fait un jour des bêtises…
-C’est d’accord, finit-elle par répondre… Je prends les deux ; je dois signer où ? »