AMers Blafards-On peut mourir de maladies de peau

L’an Zéro, le 25 janvier

 

Dans le cabinet du professeur Maslov, le bureau occupe la moitié de la pièce qui est pourtant vaste. Un cabinet installé à deux pas de la cathédrale St Isaac avec vue sur la Neva vaut une véritable fortune même à la location. Il faut dire que le meilleur dermatologue de Russie n’a pas besoin de chercher beaucoup sa clientèle avec tous les nouveaux riches que compte le pays ; des gens comme monsieur Pavlov, par exemple très grosse fortune tentaculaire sur les cinq continents. Cela fait trois fois qu’il vient spécialement de Sydney pour une consultation ; les deux gardes du corps qui l’accompagnent ont l’air plus professionnels que les habituels gorilles qui escortent ses clients russes.

Youri Maslov regarde longuement la feuille d’analyses qu’il a sous les yeux ; elle lui brûle les doigts, car il ne pourra pas guérir son patient. Un regard pour le Modigliani qu’il a au mur et il se lance :

« Monsieur Pavlov, nous avons refait les tests sur le prélèvement de votre épiderme réalisé à votre première visite ; j’ai consulté anonymement des confrères à Paris et San Francisco, leurs réponses sont identiques à ce que je craignais…

– Allez-y docteur, je vous écoute. »

Le calme du client ne présage rien de bon ; les deux agents secrets, oreillettes et lunettes noires n’ont pas bronché non plus. Maslov avale sa salive, comme si c’était la dernière fois ; ses autres clients, même les caïds nerveux ne lui font pas aussi peur que celui-là. Les autres viennent souvent pour un grain de beauté mal placé ; des consultations à vingt mille dollars payés pour la moitié en liquide.

« Votre maladie s’appelle le Vitiligo, c’est une dépigmentation de la peau comme vous avez pu vous en apercevoir ; cela provient soit suite à un choc psychologique ou de façon héréditaire… Comme vous êtes venu me voir au début des signes visibles, nous pouvons mettre en place un traitement qui estompera les signes visuels. »

Pas un muscle du visage du patient ne bouge ; pourtant le professeur a bien précisé que les altérations n’étaient que cutanées… Au bout de longues secondes, le client pose une question :

« Aujourd’hui, quelles sont les contre-indications ?

– Vous devez absolument éviter tout contact des lésions de votre peau avec le soleil…

– Et pendant combien de temps ?

– He bien, si vous êtes d’accord, nous allons cultiver des cellules d’épiderme superficiel en laboratoire afin de pouvoir remplacer les zones altérées les plus visibles et gênantes…

– Répondez à ma question docteur ! Combien de temps sans exposition au soleil ? »

Pavlov a crié, s’est presque levé ; les deux balèzes en costard avaient déjà la main à l’intérieur de leur veste…

« Heu, assez longtemps… Il va falloir éviter ; les coups de soleil vont être très graves, de vraies brûlures en profondeur… Maintenant pour développer vos cellules, il va falloir envisager un budget assez important ; il y a du matériel qui est nécessaire et il y a énormément de manipulations… »

Le professeur Maslov continue à dérouler son argumentaire commercial, mais il n’y croit plus ; il sait qu’il a perdu la main dans cette consultation. Monsieur Pavlov ne va pas prendre le package multiplication des cellules de peau et greffe ; le médecin a le regard figé sur le tableau, le personnage peint par Modigliani semble avoir le visage émacié, presque des tâches de dépigmentation. Il ne savait pas pourquoi, il lui avait plu ; maintenant tout paraît clair : le personnage a peut-être le vitiligo lui aussi…

Le client fait un signe de la tête ; au lieu de sortir un chéquier ou une liasse de billets de cent, les hommes en noir dégainent des armes de poing munies de silencieux. Le professeur tombe sur ses ordonnances avant même d’avoir vu tirer.



08/04/2013
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