AMers Blafards - Pas facile d'être albinos...

Afriki Kisaki range consciencieusement les boîtes en carton de l’aide humanitaire ; il aime ce boulot. Depuis qu’il est arrivé de la province, il s’est réfugié au dispensaire. Sa guérison a été lente et il boite toujours un peu ; il a encore du mal à comprendre pourquoi il est persécuté de la sorte : les Swahilis sont bien intégrés dans la région et les bords du Tanganyika sont une région en paix depuis longtemps…

Sauf qu’Afriki a quelque chose de spécial et qui fait qu’on le repère de loin ; il est un Africain à la peau blanche. Les docteurs de l’hôpital appellent ça « albinos », ça veut dire qu’il est noir, mais avec une couleur de peau différente des vrais blancs qui viennent ici acheter en contrebande les petits poissons colorés du lac. Sa maman disait qu’il était exceptionnel, qu’il était beau et unique ; mais elle le voyait avec les yeux d’une mère…

Depuis que son village a été dispersé, il n’est plus protégé par la communauté ou sa famille. Le jeune homme a vu le regard des gens sur son passage ; la méfiance était la meilleure solution. Les autres regards, ceux de la xénophobie, de la haine sont dangereux aussi ; c’est la bêtise de la peur de l’autre qui a fait qu’il a été blessé à coup de machette, il y a quelques mois dans les faubourgs de Mwanza. Sans la présence du dispensaire, des médecins blancs et de leurs médicaments, il aurait perdu maintenant la jambe ou la vie.

Mais le plus grand danger, celui qu’Afriki Kisaki l’albinos redoute le plus, c’est l’attrait qu’il représente pour la magie ; les sorciers ont mis sa tête à prix, plus exactement sa joue droite et ses organes génitaux ! Il ne sait pas exactement pourquoi, mais une vieille femme lui a dit que c’était très bon pour favoriser la pêche au poisson dans le grand lac. Personne ne sait quand a commencé la chasse au noir blanc, mais il se dit que des dizaines de pauvres hères comme lui ont été massacrés dans toute la Tanzanie. Afriki pense qu’il est à l’abri au dispensaire ; il y a de vrais blancs et puis la plupart des gens sont allés à l’école, donc sont moins crédules devant les promesses de pêche miraculeuse avec de bons morceaux d’albinos…

Le plus dangereux va être quand il va quitter l’hôpital pour rentrer dormir chez son cousin à quelques ruelles de là.

Quand est-ce que les marabouts ne dirigeront plus les actions des gens en leur faisant faire des actes odieux et barbares ? Quand est-ce que la couleur de peau, fut-elle liée à l’hérédité ou à une déficience, ne sera-t-elle plus un motif de rejet, de suspicion, que seule la magie peut expliquer ? Toutes ces questions tournent dans sa tête.

« C’est bon Afriki, tu as bien travaillé aujourd’hui ! Le médecin de garde s’est approché de lui ; viens un peu plus tôt demain matin, il y a un camion à charger qui part pour Zanzibar…

– D’accord Docteur, passez une bonne soirée ! »

Afriki Kisaki ramasse son petit sac et sort en vérifiant qu’il n’y a pas trop de monde dans la ruelle. La poussière est soulevée par une petite tornade et vient s’arrêter net contre un gros mur en terre sèche. L’albinos longe l’enfilement de cases sordides qu’il connaît ; les gens aussi le connaissent et ne le dévisagent plus maintenant comme au début. Encore deux rues sombres et tordues où les maisons sont faites de tôles métalliques. Il est presque à l’abri.

Soudain, un cri de l’autre côté et un enfant le montre du doigt :

« Il est là, il est là ! Le noir blanc est là ! »

Un groupe d’hommes apparaissent, il ne les reconnaît pas ; mais il voit les machettes qui lancent des éclairs dans le soleil. Ils se précipitent sur lui ; le pauvre homme prend les jambes à son cou droit devant lui. Mais ils ont tôt fait de le rattraper, car il boite toujours de son ancienne blessure…



21/11/2012
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