Benoît XIII ou le roman de Terrisse-L'amour en temps de guerre

Mon tendre Louis.

 

C’est le cœur plein de tristesse et de doute que je vous écris, mon aimé. Depuis votre dernière lettre, j’ai pratiquement perdu le sommeil. Comment allez vous ?

Ici, nous nous entassons dans trois pièces ; mais les habitants sont très gentils. Ce sont des protestants, car ils sont très nombreux dans la ville depuis dix ans. Mais Coblence est glaciale en cette saison ; le vent froid de l’ouest nous transperce et ma chambre que je partage avec ma jeune sœur donne sur le Rhin qui semble nous mettre de l’humidité jusqu’au cœur des os.

Vous me manquez et je suis si inquiète. Les journaux que j’arrive à chiper à mes parents, sont couverts de dessins de sans-culottes avec le couteau entre les dents en train de piquer les têtes de nos amis guillotinés en haut de grilles. C’est une horreur et Mathilde ne cesse de trembler en pensant que ça aurait pu être nous. Je n’imagine même pas ce qui doit advenir de notre beau château d’Aiguines, rieur au soleil de provence.

A propos de Provence, le comte met toute son énergie et ses moyens à constituer une armée pour libérer le royaume ; mais c’est long et fastidieux. Les émigrés sont pour la plupart vieux et bedonnants malgré l’initiation à l’art de la guerre qui est l’apanage de l’éducation des gens bien nés.

Vous me dites que Cotignac est paisible, qu’aucune pression du bas peuple ne vous pousse dehors ; si vous saviez comme je souhaiterais que vous me rejoigniez ici. Nous pourrions faire un charmant tour de barque romantique sur les parties calmes de la Moselle. Vous forceriez sur les rames de vos bras forts et moi je rosirais en silence. Mais au lieu de ça, vous êtes loin de moi, et des armées en formation, des escadrons de hussards et des canonnades nous séparent. Je ne souhaiterais que nous prononcerions nos vœux, qui ont été souhaité pour nous à mes douze ans. Je souhaite que nous aillions descendance nombreuse au soleil de Provence ou en Rhénanie, qu’importe ! Cette guerre fratricide qui coupe notre royaume en deux ne peut pas durer ; le bon peuple français va revenir à la raison. Déjà, les troupes de Charrette en Vendée libèrent des villes et pactisent avec l’état major révolutionnaire. Les jusqu’au-boutistes parisiens vont finir par s’entretuer avec leur guillotine du diable. Ces monstres du Comité, sont en train de tuer le pays, l’asphyxier… Nos gens ne pourront se laisser berner longtemps par ces révolutionnaires. Il faudra un jour reprendre le travail pour manger. Bien sûr, certains excès ne seront plus possibles de la part des nobles. Les anglais ont trouvé un moyen terme acceptable pour les lords comme pour les bourgeois. C’est ce que dit Père en tout cas ; néanmoins, je suis impatiente de votre venue, si vous tenez encore à moi. Il ne reste personne là-bas qui vous mérite, personne de bien né. Décidez vos parents pour le départ, je vous en conjure ! L’exode n’est pas trop difficile puisque nous sommes tous là autour du comte de Provence ; à Terrisse, vous risquez votre vie. Il y aura toujours des excités qui en voudront à votre pouvoir, à votre fortune. Le problème de la révolution, c’est qu’il n’y a pas de véritable chef, juste une meute de chiens enragés se battant pour une gamelle. Vous risquez la morsure, la rage, la mort. Mon Louis, revenez moi enfin pour que nous célébrions l’alliance tant attendu vous dans votre bel habit bleu. Mon trousseau s’ennuie loin de l’union que nous a volé la révolution.

 

                         Votre Elisabeth qui vous aime.

 



27/05/2013
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