Benoît XIII ou le roman de Terrisse - Révolution ou chaos?

   Il y a du monde de partout, chaque pièce, chaque meuble est retourné. Au départ, ce sont les papiers qui volent : les gardes nationaux et le consul de la commune cherchent sommairement des éventuels documents compromettants ; puis il y a une deuxième vague d’assaillant dans l’escalier à la recherche de liqueurs vins et victuailles. Un troisième groupe remarquable, furette de bibelots en bibelots, de placards en placards pour garder un souvenir ou quelque chose de monnayable. Enfin, les plus calmes, les plus inquiétants qui prennent leur temps et mesurent chaque pièce à grandes enjambées comme s’ils allaient débiter la vénérable demeure en tranches fines ; la plupart d’entre eux sont d’anciens journaliers du château avec qui Simon a longtemps travaillé au service du comte. L’homme est assis sur une marche en bas de l’escalier et la foule l’évite à peine comme un colis encombrant maintenant que sa bêche lui a été prise par un villageois qui en avait besoin pour briser un verrou. Francine sanglote à chaque casse, chaque destruction qu’elle voit ou imagine et croit devenir folle ; elle va sans doute se réveiller et se retrouver dans un monde où la jeune reine joue toujours à la bergère à Versailles…

Albert Favre porte difficilement le buste en terre cuite qu’il a trouvé sur le marbre du salon ; qui est ce prélat, suppôt des fausses croyances ? Non, ce n’est pas l’actuel imposteur, le vieux Pie VI… Mais, l’homme s’en moque un peu, le citoyen Pothonier n’a pas embrassé la religion de la république : c’est une preuve de plus à charge. Paul Ribier fait un mouvement brusque par derrière lui dans le brouhaha énorme puisque le salon est un champ de bataille au début de la débâcle. Le buste échappe des mains avides et se brise lourdement sur les malons* vernis. Les deux sans-culottes sont un bref instant gênés devant les débris épars mais le citoyen Favre voit immédiatement la pièce d’or au milieu des gravas et le petit papier avec cinq points vaguement alignés et deux en bas à gauche sur le côté ; le plus haut est le plus voyant. L’homme le jette au milieu des piétinements, et la pièce d’or dans sa poche ; l’instant historique n’est pas aux énigmes. La révolution citoyenne est en marche ; les aristocrates, à la lanterne!

Le Citoyen Vincent dans son nouvel uniforme tricolore, en impose ; il représente le district, du coup, personne ne lui conteste le tableau quand il le décroche du mur. Ce ciel étoilé est remarquable ; c’est peut-être une croûte sans valeur, il va le proposer à Barjols au citoyen Lieutard en échange d’un gigot et peut-être de deux grives. Un éclat de voix vient de se faire entendre au dehors. Le chef du pillage veut savoir ce qu’il se passe : Joseph Mistre informe le bicorne qui paraît dans l’encadrement de la fenêtre que la porte de la chapelle vient de céder. Le chef de la garde enjambe le rebord sans trop taper le cadre, demande à l’informateur de lui garder le tableau et arrive à temps grâce aux bottes de sept lieues au moment où deux personnes s’arrachent des mains un calice d’or visiblement trop beau pour eux. C’est la plus belle pièce de valeur ; ce ne peut être qu’une prise révolutionnaire. Les hosties consacrées contenues sont jetées à l’extérieur au milieu des poules.

Le reste du petit peuple se défoule dans la minuscule église en brisant à coup de masse le marbre du maître-autel afin de chacun puisse avoir un bout en souvenir de cette journée mémorable où tous auront pu entrer dans l’intimité des nobles traîtres à la patrie. Deux heures plus tard, le peuple commence à quitter Terrisse en deux groupes bien distinct : Ceux satisfaits ou repus qui ont eu un butin et les penauds, les plus nombreux, qui n’ont pu que casser un peu par désoeuvrement. 



13/03/2013
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