Des nouvelles de son ex -Le feu sous la glace

Il est en train de descendre la rue pour aller à la gendarmerie quand la poche avant de son pantalon vibre ; à la sensation sur son entrejambe, Djamel sait que c’est son ex.

« Salut Betty, qu’est-ce que tu veux ?

- Prendre de tes nouvelles, mon cœur… » Son cœur, elle l’a émincé avec un hachis d’ail et de persil. « Comment tu vas ? »

- Bien comme un kleenex usagé ; je ne m’attendais pas vraiment à ton appel… tu veux quoi ? »

Le ton froid et direct du journaliste masque mal ce qu’il ressent. Si pour la reconquérir, la chaîne organisait la traversée à la nage de l’Antarctique après avoir marché sur des braises, Djamel est certain de battre le record de l’épreuve ; c’est une idée débile donc un bon taux d’audience garantie.

« Oh, tu es bien agressif ! Remarque, je le mérite ; mais que veux tu, je suis tellement heureuse avec Jean dans notre loft dans le XVIe… Et je vais avoir mon émission à moi ! Tu imagines ? Mon rêve de toujours…

- Je suis très content pour toi, Jean Bremond directeur des programmes connait maintenant l’éventail des tes talents… Je ne peux pas te parler trop longtemps, je ne suis pas sur Paris.

- Ah oui ? Tu es en province ?

- En vacances à la montagne en fait, pour me changer les idées…

- Le froid, la neige ? Mais tu n’aimes pas ça ! Elle s’appelle comment celle qui t’a convaincu ?

- Je suis venu seul, j’en avais marre de me morfondre sur notre canapé. Ça me change les idées, c’est bon…

- Dis, j’ai besoin de journalistes de qualité pour mes enquêtes… C’est pile ton secteur ; quand tu reviens, on en parle. J’aimerais beaucoup qu’on travaille à nouveau ensemble… en copains en souvenir du bon temps ! Allez, dis oui, ton contrat est prêt ; on discutera les primes de déplacements ; c’est facile pour toi en ce moment, surtout si tu n’es plus en couple…

Le problème avec un harpon, ce n’est pas le point d’entrée mais la douleur pour essayer de l’extraire, et là, Betty le tourne violement dans la plaie infectée.

- J’ai autre chose en vue, mais quand je rentre sur Paris, je te fais signe ; promis ! Clochard sur un banc ou caniche à la niche dans une cour dans le XVIe, voici le futur de Djamel ; cruel dilemme…

- Ça m’a fait un bien fou de te parler mon doudou, c’est fou les souvenirs qui remontent à la surface rien que d’entendre ta voix ! J’attends de tes nouvelles bientôt ?

- D’accord Betty, je viens te voir à la chaîne ; j’ai encore deux ou trois potes à saluer de toute façon. Je jetterai un œil à ta proposition… »

Un blanc de l’autre côté du téléphone ; le trafic sur les grands boulevards a sans doute été interrompu.

- Tu vas jeter un coup d’œil ? Mais qu’est-ce que tu crois ? Que toutes les rédactions t’attendent pour te filer le prix Pulitzer emballé ? » Elle en bafouille dans son I-Phone : « J’ai dû supplier Jeannot pour qu’il te redonne une chance, parce qu’il craint que tu cherches à me récupérer… Écoute-moi bien Djamel, j’ai fait le premier pas aujourd’hui et tu devras faire le second ; c’est mon dernier mot. Bonsoir ! »

Le choc est si fort quand elle raccroche qu’il a l’impression d’avoir pris le combiné dans l’œil. Ne pas dire non à une femme est une règle universelle. Si elle a le visage de Betty, même un peut-être est perçu comme une attaque, un attentat, un crime de lèse-majesté… L’irruption de son ancienne vie dans la rue enneigée déstabilise le journaliste de terrain ; demain, il prendra soin d’oublier son téléphone cellulaire à l’hôtel. Si ça mère veut le joindre, elle lui laissera un message ; il en connaît la teneur : « As-tu des nouvelles du boulot ou de cette délicieuse Betty ? »



17/05/2013
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