Djamel, sa mère et le téléphone - Le feu sous la glace

« Mais non Maman, je te dis que ça ne pose pas de problème… Non, ça n’a rien à voir avec ma séparation avec Betty… Oui, ils en ont licencié deux autres en même temps… Oui, des journalistes aussi… La chaîne a la possibilité d’avoir des tonnes de pigistes stagiaires qu’ils payent avec un sandwich, tu parles, ils ne vont pas se priver ! Oui, c’est dur quand même, parce que je crois que je faisais du bon boulot, mais bon, c’est la vie… Oui j’ai eu une prime de licenciement représentant trois mois de salaire ; ça va, ils n’étaient même pas obligés au regard de mon contrat… Ne t’inquiète donc pas, je ne suis pas à la rue ; je vais me reposer un petit mois et puis je vais chercher autre chose… Oui, j’ai deux ou trois idées ; je t’en parlerai quand ça prendra forme… Ça va, elle a récupéré ses affaires mais elle m’a laissé tous les meubles qu’on avait achetés ensemble… oui, le même le canapé en cuir ; ah, tu l’aimes bien celui là, hein maman ? ... Oui, le type avec qui elle s’est mise a une maison avec tout, de toutes façons… Oui, un gars de la chaîne ; oui, elle a sauvé ses fesses du coup… Oui, c’est mieux comme ça, on a eu des bons moments mais c’est fini voilà tout… On n’avait pas de chien, donc pas de soucis ! Ah ah… Bon je raccroche maintenant, maman ; fais une bise à P’pa… Oui, je te rappelle dimanche, sans faute… Oui, je vais me faire des bons trucs à cuisiner, ne t’inquiète pas… Bisous, bonsoir, bonsoir ! »

Enfin ! Djamel a réussi à couper la communication ; sa mère, d’un naturel possessif, est littéralement hystérique en ce moment : entre sa rupture avec cette garce de Betty et son renvoi de la chaîne, c’est vrai qu’il y a de quoi s’inquiéter pour une maman ; son fils unique que l’on croyait casé se retrouve en moins d’une semaine célibataire, au chômage, et pourquoi pas SDF ? Non, c’est dur pour le jeune homme, ça l’est encore plus pour ses proches ; d’un autre côté, il ne se voyait pas faire semblant plus de quarante-huit heures ; couper la branche malade pour vite passer à autre chose. Elle aussi est passée à autre chose, en se mettant avec le directeur de la programmation de la chaîne ; c’est une promotion pour elle, même si c’est une promotion canapé. N’empêche qu’elle passe d’un deux pièces dans le XVe à un quatre pièces dans le Marais. C’est non négociable, c’est rédhibitoire, c’est la vie…

Toute la journée, Djamel a zappé sur la télévision, vautré dans son canapé en cuir qu’il a pu sauver du naufrage. La télécommande crie grâce, ainsi que le pack de bière. Une bonne douche ne serait pas du luxe, et un coup de rasoir aussi. Les plans pour rebondir dont il a parlé à sa mère sont encore dans une nébuleuse artistiquement floue ; l’idée est de se mettre en freelance, afin de travailler sur un ou deux sujets de fond qu’on a rarement le temps d’explorer sur la chaîne, et ensuite de le vendre à une revue mensuelle ou deux, ou zéro…

Parmi les faits divers à la fin des actualités, le speaker relate une deuxième disparition inexpliquée dans la station de ski de Courchevel ; la brigade de gendarmerie doit faire face à l’absence d’un autre jeune touriste. En pleine saison de sports d’hiver, cela tombe plutôt mal, d’autant plus qu’aucun corps n’a été retrouvé, et que la piste de la fugue n’est pas privilégiée par les enquêteurs. C’est exactement le genre d’enquête qui conviendrait pour un journaliste averti ! Se sortir quelques jours de son hibernation ferait le plus grand bien au jeune homme, et ce serait l’occasion de voir si sa combinaison de ski lui va toujours. Djamel décroche son I-Phone afin de connaître les horaires des trains pour la Savoie ; pendant ce temps, un capitaine déclare qu’on n’a pas revu les deux victimes après une sortie en boite de nuit. Le premier est un Parisien de trente et un ans, arrivé seul dans la cité touristique ; le second est un citoyen helvétique de vingt-cinq ans. Les lieux de disparition sont surprenants pour un peloton de gendarmerie plus enclin à intervenir sur des absences consécutives à des sorties hors-pistes en couloirs avalancheux.

L’office du tourisme et la municipalité minimisent la gravité des incidents alors que la saison bat son plein et que le pourcentage de réservation est bon, mais pas exceptionnel. Des auditions sont en cours, mais aucune piste ne semble pour l’heure privilégiée…

 



04/05/2013
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