La pension au milieu des fougères-Franchir l'arc en ciel

La pension au milieu des fougères

 

 

Ce n’est pas un bourg ; quelques maisons en pierre hors de l’âge des agglomérés. Les villages ardéchois semblent neufs comparés à celui-là ; l’Américaine voit la Corse millénaire. Des fougères viennent lécher les rues mal goudronnées et soulevées par les racines des figuières[1].

La pension Paula est vieille et les seules étoiles que connaît la façade, sont celles du ciel. L’escalier penche vers la gauche et grince comme un sommier de lupanar. La chambre réservée pour les deux jeunes gens porte le chiffre 13, alors qu’ils n’ont vu que quatre portes en tout. Faut-il y voir un signe du destin ? La pièce comporte une armoire, un lavabo sans eau et deux lits simples… évidemment !

Par contre, la fenêtre donne sur une forêt de fougères d’où émergent des ruines moussues ; le bonheur existe donc et il a une odeur !

Grâce à Dieu, il y a une salle de bains, mais elle est sur le palier ; la vieille dame qui a du connaître le père de Prosper Mérimée[2], nous informe que la soupe, nom du repas en langue corse sans doute, est à 19 h 30.

Les maigres effets sont vite expédiés dans l’armoire ; Jean laisse tout dans son sac. Les deux jeunes gens ont vite envie d’aller voir ce qui se passe derrière, dans le petit bois.

Heureusement, ils descendent avec un pull en plus, car l’humidité doit vite tomber ici. C’est facile de retrouver l’endroit vu le petit nombre de maisons.

Partout des polypodes caressent leurs jambes, parfois la taille. Des restes d’habitation émergent, augmentant le côté romantique et merveilleux ; le poète a dû s’inspirer de cette vision pour son roman Colomba ; la lumière baisse assez vite et les langues de brume remontent les vallées comme des envahisseurs invisibles. C’est beau et un peu effrayant.

Jean prend la main de Tamara avant de s’appuyer sur le muret ; celle-ci est froide comme la pierre. Alors, il passe son bras en écharpe autour de ses épaules ; le jeune homme n’a pas besoin d’aller plus loin, il est bien là, à ses côtés. Elle regarde le brouillard venir vers eux et elle sourit au nuage.

Le jeune homme ne se souvient pas comment leurs lèvres se sont rencontrées, mais la sensation de cette bouche pleine et suave, alors que le froid commençait à les saisir, le marquera toute sa vie. Quand ils se redressent, Jean voit le visage de la jeune fille empourpré ; il demande :

« Ça va ?

— Oui » dit-elle, s’étant elle-même sentie rougir ; elle va répondre que c’est à cause du soleil, ou de la lune, mais finalement ne rajoute rien qui briserait la magie de l’instant.



[1] En Provence, le figuier est  féminin, nourricier comme une mère.

[2] La famille du poète est originaire de ce village



11/05/2013
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