Noyade dans son passé-Franchir l'arc en ciel

Quelle queue aujourd’hui pour payer son journal !...

Ça y est, les touristes sont arrivés.

 

Jean attend son tour avec impatience, car il a rendez-vous de l’autre côté de la ville. Il y a encore la mémé avec sa douzaine de cartes postales et l’Anglais qui a ouvert son tabloïde pour voir les seins de la playmate quotidienne. S’il levait les yeux vers l’étagère du haut, il en verrait d’autres des poitrines refaites et en 3D en plus… Lui, l’autochtone, connaît par cœur cette maison de la presse à un kilomètre de chez lui sur la route de son boulot. Son regard balaye le rang de revues à sa hauteur, rangées bien serrées pour en mettre un maximum. Les voitures et puis les sports nature ; il y a pas mal de périodiques d’escalade. C’est normal, ici en Ardèche, avec l’été qui arrive…

Jean voit une silhouette en train de faire un mouvement énorme sur une couverture ; une femme avec une queue de cheval. Une légère décharge dans la colonne vertébrale l’oblige à s’approcher. Il tire rapidement la revue en l’écornant un peu ; la vendeuse le dévisage comme s’il lui avait arraché son chemisier. Son âge canonique lui interdit ce genre de désagrément désormais. Le pressentiment était le bon : l’homme reconnaît la grimpeuse. Elle a changé ; en fait, pas du tout… Jean paye le tout, journal et magazine et se précipite vers sa voiture sans attendre sa monnaie.

Dès qu’il est assis au volant, l’homme regarde encore une fois le profil pour être sûr qu’il n’a pas rêvé, qu’il n’est pas le jouet d’une ressemblance. Après tout, les grimpeurs ont tous le même look, les mêmes vêtements et une coupe de cheveux rebelle. Mais non, le même regard vers la paroi qui cherche le passage comme on lit une carte, et surtout le nez retroussé !...

Deuxième page, Jean trouve ce qu’il cherchait fébrilement. Pas le nom de la grimpeuse, mais les références du photographe : Glenn Ashford. C’est sûr, il sera en retard à son rendez-vous ; l’homme ne peut pas passer sa journée comme ça dans l’incertitude. Il n’est pas loin de la maison et de son ordinateur.

Il se dépêche d’ouvrir la porte pour recevoir son fils dans les bras.

« Papa… Tu es là !... Tu ne vas pas travailler ce matin ?... » Il serre le gamin très fort. C’est mercredi, les enfants sont encore là ; avec sa voix de stentor, le petit va réveiller sa sœur, c’est sûr.

« Tiens Chéri, déjà de retour ?... » Irène, sa femme, est surprise aussi de ce retour inhabituel.

« J’ai oublié un truc, je repars tout de suite. »

Le temps que son ordinateur démarre, et Jean écrit le nom du photographe dans le moteur de recherche. Celui qu’il cherche est le premier de la liste ; visiblement, il est spécialisé dans les photos de grimpeurs. Il n’y a que des hommes ; et une seule femme… elle !...

Quatre photos sont à la vente ; toutes dans de beaux gestes et dans des sites majestueux. On peut même commander l’image au format poster pour quelques dizaines de dollars ; quasiment la femme à la taille réelle !... Le beau visage remplit l’écran de l’ordinateur. Pour la première fois, Jean regrette de n’avoir acheté qu’un 22 pouces. Une voix derrière lui le fait sortir de sa torpeur.

« Elle est jolie la dame !... C’est Maman ? » Il revient à la réalité immédiatement pour voir le regard intense de sa gamine.

« Non ma puce, ce n’est pas Maman…

— Pourquoi tu as les yeux tout rouges, Papa ? Tu as pleuré ?... »

 



16/04/2013
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