Pagnol et la partie de pêche- Benoît XIII, le roman de Terrisse

   Le soleil encore rasant, éclaire l’eau étale. Une couleuvre nage à la surface, en aval des deux garçons mais rien ne semble devoir les déconcentrer ; c’est un combat de durs, un défi de pêche. Malheureusement, malgré ses deux cannes de bambou, l’une appâtée avec une mouche, l’autre un ver de farine, rien ne semble devoir déranger le bouchon de liège qui sert de flotteur. Louis non plus, n’a pas trop de réussite, malgré son matériel dernier cri ; lui a équipé son hameçon d’un petit ver de terre : classique, mais tellement efficace pour les gros prédateurs. Mais rien : Pas plus d’ablettes que de goujons…

René est partagé : il a envie de montrer à cet étranger qui est le patron du trou d’eau, qui sait lire le courant afin que la truite vienne avaler l’appât par amitié ; mais il voudrait en même temps qu’il traverse, vienne de son côté, pour sucer avec lui un bâton de réglisse. Ce sont des friandises gratuites que l’on trouve sans argent, quand ce n’est plus la saison des figues ou des jujubes*. Les genoux pleins de croûtes sèches du petit paysan, dépassent de sa culotte usée. Pour accéder au gouffre, il faut passer à travers un étroit sentier bordé de ronces à mûres. Gare à qui tombe au milieu de ce piège d’épines ; ce serait une mort immobile, les lambeaux de chair accrochés par mille pointes infectées qui vous fouillent le corps…

 Du côté de Louis, l’accès est bien plus aisé : juste des ajoncs et quelques roseaux. C’est peut-être lui qui a raison d’être passé par Entrecasteaux ! Mais René est de Terrisse, il ne va pas passer de l’autre côté, même par confort, même pour un seau entier d’écrevisses goûteuses…

« Tu connais Emeline Rivas ? Elle doit être dans ton école ; elle vient avec son père parfois qui est matelassier.

-Ha oui, Mine… Elle est bien jolie ! Mais elle ne voit que le fils du docteur !

-Oui, ce n’est pas juste ; elle a beau être d’un autre village, mais j’aimerai bien me marier un jour avec une fille comme ça !

-Moi aussi, je suis d’un autre village ! Les deux compères éclatent de rire sans se soucier des poissons ; il n’y aurait pas eu la vasque d’eau entre eux, ils se seraient mis de grandes tapes dans le dos : des caresses d’hommes !

-Si tu veux, demain je te montrerai où un gros lièvre à son nid ; c’est pas trop loin d’un trou de renard : ces deux là, jouent au gendarme et au voleur sans arrêt…

-Je voudrai bien, mais demain, je dois aller voir mon père jouer au tennis au Bouillidou. Tu verrais ça : Les casquettes et les costumes tout blanc ! Ma mère et la femme de l’autre joueur attendent au bout en buvant leur thé. C’est sur ce terrain que venait aussi s’entraîner Rolland Garros en 1913, mais je ne m’en rappelle pas : j’étais tout petit…

-Je ne vois pas qui c’est ; pff, encore un parigot… Mais tire sur ton lancer ! Tu ne vois pas que ton bouchon a plongé ? Hurle littéralement René ; Le néophyte s’exécute, comme lui a montré le marchand : Tirer sur la canne, puis avaler un peu de fil avec le moulinet puis encore tirer…

L’animal s’approche de la surface, c’est un monstre. René en bégaye : La chance du novice, c’est sûr ; mais la prise est superbe. La truite renvoie les rayons du soleil depuis la main de Louis avec ses six cents grammes bien pesée. Le garçon pose la bête sur sa besace et entreprend de se remettre en position pour donner à René une occasion de revanche ; il a les yeux qui pétillent et le cœur qui bat fort. Mais il fait un mauvais geste en remettant sa ligne à l’eau : tout l’ensemble vient s’emmêler dans une branche basse de chêne qui le guettait. Le petit paysan en profite pour se mettre à devoir refaire son retard.

Pff, joueur de tennis… Pourquoi pas pilote d’avion pendant qu’il y est ?

 

*Jujube : Fruit provençal semi sauvage, de la taille d’une olive et au goût de pomme.



01/03/2013
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