Partir, c'est mourir définitivement - Franchir l'arc en ciel

Le métro qui ramène le couple vers l’aéroport leur paraît désert et silencieux ; en réalité, il y a la même promiscuité, mais le couple est absorbé par les derniers instants à passer ensemble. La rame n’est que la charrette qui emmène Tamara vers l’échafaud. Il est normal que les badauds se fassent discrets et que les Parisiens fassent la tête, comme d’habitude, par solidarité…

Une fois arrivés à Orly, les jeunes gens se résignent à aller chercher les bagages laissés à la consigne. La machine crache les deux grosses valises ; encore deux heures avant le décollage, seulement deux heures ! Cela leur semble incroyable, impossible de devoir se séparer ; ils n’y arriveront pas, c’est sûr !

Encore une salle d’attente où ils se disent des mots d’amour sans queue ni tête, des dernières recommandations pour voyager dans de bonnes conditions ; les meilleures conditions seraient de faire le voyage ensemble, ou mieux, de retourner vers la Grotte Blanche avec la moto…

Déjà, certains golden boys se dirigent vers la douane ; encore cinq mètres et ils auront quitté le vieux continent obsolète, ils seront sauvés d’entendre leur langue avec le débit new-yorkais.

Tamara se lève dans les dernières et se dirige à contrecœur vers les deux hommes sévères en uniforme. Jean, la mort dans l’âme, traîne les valises comme si elles contenaient de la fonte, avec la jeune fille accrochée d’une main à sa ceinture. Ils suivent la file comme s’ils suivaient un corbillard ; ils entendent presque la marche funèbre.

Le douanier est extrêmement sévère et soupçonneux ; il ne comprend pas ce que faisait cette jolie fille pendant un an dans ce pays arriéré. Visiter la capitale, la tour Eiffel, peut-être acheter des vêtements et du parfum, soit ; mais pourquoi étudier ici ? Dans les bagages, rien de dangereux ou de risqué… Bizarre ! Et que fait ce jeune homme accroché à ses baskets ? Il n’a pas présenté son passeport…

« Pourquoi voulez-vous entrer aux USA ?

— Parce qu’elle est américaine, vous ne voyez pas son passeport ? »

Jean a presque crié, il est hors de lui. Cet homme est en train d’éplucher le document d’identité de Tamara comme si elle était une terroriste.

« Monsieur, vous n’embarquez pas ; veuillez retourner vous asseoir avant que je n’appelle la sécurité !

— Mon chéri, je vais y arriver, c’est très difficile pour moi de monter dans cet avion ; laisse-moi m’expliquer, je vais y arriver… »

Un personnel au sol vient escorter le garçon jusqu’à un siège dans la salle d’attente.

« Bon, je vais plus loin, mais ne me touchez pas, vous…

— Je viens tout de suite te dire au revoir, mon amour, dès que j’ai mon tampon… »

Mais les choses ne se passent pas comme les ont prévues les deux jeunes gens ; avec l’éloignement de Jean, le passeport de Tamara paraît immédiatement moins suspect…

« Tout est OK mademoiselle, vous pouvez avancer ; bienvenue aux USA !

— Attendez, je n’ai pas dit adieu à mon amoureux…

— Vous ne pouvez pas reculer, vous êtes maintenant sur territoire américain, loin des séducteurs frenchies, Dieu merci !

— Jean ! Jean, je suis là… »

Elle crie, elle le voit à travers une vitre énorme, lui l’entend, mais ils ne peuvent se toucher, une dernière fois, juste un instant… Une policière l’escorte jusqu’à un fauteuil en salle d’embarquement. Elle se précipite contre la surface transparente : les deux amants ne sont séparés que par la vitre, mais ce n’est pas le même pays, déjà un continent différent !

Le Français tourne comme un lion derrière une barrière ; il cherche le moyen de franchir, de la rejoindre par delà les barrières et les frontières.

Forcer le passage des deux douaniers pour se précipiter jusqu’aux lèvres de Tamara serait une solution, même avec une nuit en garde à vue en châtiment... Mais les deux cow-boys qui barrent le chemin lui auront tiré dessus dès le portique franchi. Mourir pour un baiser, oui, mais là, il n’est pas sûr de réussir.

Déjà, Jean cherche à se rappeler la douceur des lèvres de la jeune fille. Il colle ses mains sur la vitre et Tamara fait de même de l’autre côté ; leurs lèvres se cherchent malgré le verre et les microbes… Ils se reculent juste pour se regarder dans les yeux et se sourire tristement.

Cela dure de longues minutes, jusqu’à ce que le haut-parleur annonce l’embarquement de l’avion transatlantique. Ce sont des cris de déchirement de part et d’autre, des larmes dans les beaux yeux de Tamara et elle est poussée vers un couloir.

Quinze minutes plus tard, l’avion s’éloigne pour s’aligner en bout de piste et c’est l’envol. Le déchirement dans le cœur de Jean est tel, qu’il croit qu’il a été démembré, écartelé attaché entre l’avion et l’aéroport. Tamara semble être morte sans qu’il ait pu la serrer une dernière fois dans ses bras.



17/02/2013
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